Jean-François Noel
Eloge de la sainteté ordinaire – II
Voilà le chrétien aux prises avec une perfection impossible. C’est le moins qu’on puisse dire. Mais il en a la prétention. Toute sa vie est en attente de quelqu’un ou de quelque événement qui vienne le parfaire, Et à l’écouter, ce serait presque le nom intime de la relation qu’il entretient avec son Dieu, comme un pacte secret entre eux. Pacte certes conclu, mais dont l’effet tarde à se réaliser. Et pourtant le chrétien doit s’y engager résolument, tout en s’écartant de deux écueils possibles.
S’engager sur cette voie de la perfection, c’est prendre le risque de se heurter à un double échec. D’abord, je veux mais je ne peux pas. Je ne peux pas dans le sens que je n’en ai ni la force, ni les moyens, car il ne suffit pas de vouloir pour le pouvoir. Et le pourrais-je d’ailleurs qu’il me faudrait alors me méfier de moi-même. En effet, c’est le deuxième écueil possible: je veux mais je ne dois pas. Car je sais que l’orgueil serait plus grave encore. Et saint Paul avait à juste titre fait le lien entre l’écharde et l’orgueil. Comme le seul rempart efficace.
Pour le chrétien, l’inefficacité immédiate de sa religion n’arrange pas ses affaires. Il y perd quelque crédibilité, lui qui argue tant qu’il faudrait l’envier de fréquenter de si près son Dieu. Cette disposition, à long terme, n’est guère confortable et on comprend qu’elle en a affecté plus d’un. Ce qui expliquerait que le projet de sainteté soit tout simplement reporté à plus tard ou considéré comme inopportun. En effet, comment supporter de vivre sans rémission sous la domination de péchés répétitifs et infantiles qui nous humilient quotidiennement? Si la lumière trop nette des vertueux peut nous décourager, qu’en est-il de Dieu Lui-même?
Comme si toute la difficulté du croyant honnête pouvait se résumer à cette question: Comment tenir face à Celui qui ne peut jamais avoir tort? C’est peut-être ce dilemme que le saint réussit à résoudre plutôt que d’essayer à être parfait. Ici et maintenant. Le saint commence par l’intérieur, là où le bât blesse… et qu’il ne soit pas parfait lui apparaît comme une chance et une occasion à ne pas rater.
Jean-François Noel, L’écharde dans la chair – Eloge de la sainteté ordinaire (Desclée de Brouwer, 2011)
image: Duccio di Buoninsegna, La transfiguration (nationalgallery.org.uk)