Chemins de traverse – 328 / Nikos Kazantzaki

Nikos Kazantzaki

L’air était glacé et le ciel d’une grande pureté. Les étoiles descendaient et frôlaient presque la terre. Chacun de nous en avait une au-dessus de sa tête. François marchait d’un pas dansant. Soudain, il s’arrêta:

Mes frères, quel bonheur, quelle immense joie vient d’être donnée aux hommes! Vous rendez-vous bien compte de ce que nous allons voir? Dieu enfant! La Vierge Marie allaitant Dieu! Les anges descendus du Ciel et chantant l’hosanna! Frère Pacifique, fais-moi plaisir, prends ton luth et chante « Et elle enfanta son fils premier-né et elle l’emmaillota et le coucha dans une crèche. »

François se pencha et me dit à l’oreille: 

Je ne puis contenir ma joie, frère Léon. Regarde comme je marche bien! Je n’ai plus mal aux pieds. Cette nuit, j’ai rêvé que la Vierge Marie déposait l’Enfant Divin dans mes bras.

Les paysans des villages voisins s’étaient rassemblés dans la forêt et leurs torches illuminaient les arbres. La grotte était déjà remplie de monde. François baissa la tête et entra, suivi de tous les frères. Au fond, près de la crèche garnie de paille, il y avait un âne et un boeuf qui ruminait tranquillement. Le Père Silvestre s’arrêta devant le berceau divin, comme devant un autel, et se mit à dire la messe. Pendant ce temps, François en faisait le tour à quatre pattes tout en bêlant. Et quand le Père Silvestre, qui lisait l’Evangile, atteignit ce passage: Gloire soit à Dieu, au plus haut des cieux; paix sur la terre, bonne volonté envers les hommes! une clarté bleue illumina la crèche et tout le monde put voir François se pencher, puis se relever, tenant un nouveau-né sans les bras.

Les paysans, transportés, gémirent en brandissant leurs torches. Nous nous jetâmes à plat ventre sur le sol, éblouis par le miracle. Je relevai la tête et vis l’enfant tendre ses petits bras et caresser la barbe et les joues de François, tout en souriant et agitant ses pieds menus. Puis, François le souleva très haut devant les torches enflammées et s’écria:

Mes frères, voici le Sauveur du monde!

Alors dans leur exaltation, les paysans se précipitèrent sur lui pour toucher l’Enfant Jésus. Mais à ce moment, la clarté bleue s’éteignit, la crèche rentra de nouveau dans l’ombre et l’on s’aperçut que François avait disparu, emportant le nouveau-né.

Les paysans se précipitèrent dehors avec leurs lumières et se mirent à fouiller la forêt pour le trouver, mais en vain! Le ciel  commençait de blanchir, l’étoile du matin brillait et dansait à l’Orient, solitaire. Le jour était né.

Plus tard, je trouvai François à la porte de sa hutte, le visage tourné dans la direction de Béthléem.

Nikos Kazantzaki, Le pauvre d’Assise (Plon, 1957)

image: http://lusile17.l.u.pic.centerblog.net

Auteur/autrice

Partager sur:

Dernières publications