Morceaux choisis – 605 / François Mauriac

François Mauriac 

Un homme se lève, assiste à la messe, communie. Toutes les heures qui suivent sont baignées de Dieu. Qu’il travaille, qu’il médite, qu’il parle à un ami, la grâce sacramentelle imbibe cette journée, au point que s’il fut jamais enclin à l’ennui, à la terreur de la solitude, l’en voilà guéri à jamais. Etre seul et pourtant n’être pas seul, cette absurde exigence est miraculeusement contentée.

Qui d’entre nous oserait nier que le tourmentent à la fois l’horreur du monde et l’impuissance à demeurer seul dans une chambre? Coûte que coûte, il faut sortir, échapper à ces quatre murs, à cette table, à cette feuille, à cette encre, à cette figure creusée qu’en face de nous reflète une vitre. Mais nous voici soudain parmi les hommes, et nous devenons l’un d’eux, plus moqueur, plus amer, plus dur qu’aucun de ceux que nous faisons rire. Alors nous nous souvenons de la cellule abandonnée, des quatre murs, des livres, du silence. Pour y trouver le bonheur, il suffirait, songeons-nous, d’une seule âme, il suffirait qu’une âme bien-aimée fût là, près de nous: mais les intervalles du temps qu’elle peut nous donner, sont-ils perdus dans cette durée incessante qui, pour le coeur aimant, n’est qu’une interminable absence? Elle entre, et déjà nous savons qu’elle va sortir; elle se pose une seconde, les ailes déjà soulevées; elle songe à ce qu’elle va faire dans une heure, ce soir, avec des inconnus. Sa vie croise notre vie en ce point imperceptible qui n’est pas le bonheur, – à peine une interruption de souffrance.

Or, voici le même homme: jamais la chambre ne connut un tel silence. Aucune visite n’est attendue; personne aujourd’hui ne franchira ce seuil. Quel bonheur! Est-il donc converti à la solitude? Oui; à une solitude peuplée, à une solitude comblée. Comme la lumière, dès l’aube, dévore le désert, la petite hostie de ce matin se lève, monte, rayonne, prend possession de cette créature avec une puissance tranquille.  

Il est seul et il n’est plus seul. Il se forme dans l’âme et se déclare en elle un effet de grâce, dit un saint religieux (cité par l’abbesse de Sainte-Cécile), par lequel cette personne sent en soi une élévation de confiance et de paix propre aux bons et fidèles amis de Dieu…

François Mauriac, Souffrances et bonheur du chrétien, dans: Oeuvres autobiographiques (Bibliothèque de la Pléiade/Gallimard, 1990)

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