Thérèse de Jésus (Thérèse d’Avila)
Ecoute, mon coeur,
je te dirai ce que c’est que l’amour.
Quand l’amour accomplit
ce à quoi il est obligé,
s’il montre de la faiblesse, s’il se fatigue,
s’il se décourage, ce n’est pas l’amour.
Quand l’amour prie
avec une douce attention,
s’il fléchit, s’il perd sa ferveur,
s’il s’inquiète, ce n’est pas l’amour.
Quand il endure dans l’aridité
le tourment qui l’oppresse;
s’il ne patiente pas, s’il n’est pas ferme,
s’il se plaint, ce n’est pas l’amour.
Quand le Bien-Aimé s’absente,
et le laisse dans l’affliction,
s’il se montre lâche, s’il se trouble,
s’il tombe dans l’abattement, ce n’est pas l’amour.
Quand la bonté divine
diffère d’exaucer la prière,
s’il ne croit pas, s’il n’espère pas,
s’il n’attend pas, ce n’est pas l’amour.
Quand l’amour
est satisfait de lui-même
parce qu’il aime, parce qu’il adore,
parce qu’il sert Dieu, ce n’est pas l’amour.
Quand dans l’adversité
et dans une tribulation quelconque
il n’est ni humble, ni joyeux,
ni affable, ce n’est pas l’amour.
Quand il est l’objet de faveurs
d’un prix plus ou moins grand,
s’il s’y affectionne, s’il s’y attache,
s’il en est rempli, ce n’est pas l’amour.
Puisque rien de ce qui est dit
ne peut à juste titre s’appeler amour,
je vous le demande, mon coeur,
ne me direz-vous pas ce que c’est que l’amour?
L’amour est une douce affection
de l’âme envers Dieu;
il aboutit à la charité,
après avoir commencé par la dilection.
Si vous désirez souffrir
pour qui a tant souffert pour vous;
si vous vous réjouissez dans la souffrance,
et dans la croix, voilà l’amour.
Si vous souhaitez en ce monde
vivre humilié
et être méprisé de tous,
pour Jésus, voilà l’amour.
Si vous ne recherchez point les louanges,
si, quand on vous fait des éloges,
vous les rapportez tout confus
à votre Bien-Aimé, voilà l’amour.
Si, au milieu des adversités,
le coeur persévère dans la sérénité,
la joie, et la paix,
voilà l’amour.
Si ta volonté en tout
tu contredis avec énergie,
pour donner la préférence à une volonté étrangère,
par obéissance, voilà l’amour.
Si quand tu médites,
tu n’attaches point ton coeur
aux consolations qui découlent de la prière,
voilà l’amour.
Si aux douceurs que tu éprouves
quand tu es en contemplation,
persuadée que tu ne le mérites pas,
tu renonces, voilà l’amour.
Si tu reconnais ta bassesse,
et la grandeur de Dieu,
si te méprisant toi-même,
tu exaltes Dieu, voilà l’amour.
Si ton allégresse est la même
dans la joie et dans l’affliction,
si les peines et les contentements
ne nuisent point à la ferveur, voilà l’amour.
Si tu te trouves
transpercée d’une douleur aigue,
en voyant ton Bien-Aimé offensé,
voilà l’amour.
Si tu désires efficacement
que toutes les âmes
créées par la Toute-Puissance divine
se sauvent, voilà l’amour.
Enfin, si toutes tes pensées,
oeuvres, paroles, tu les offres
en hommage à ton Bien-Aimé,
voilà l’amour.
Sainte Thérèse de Jésus, Poésies, dans: Oeuvres complètes (Seuil, 1949)