Michel Onfray
On mesure l’étendue du dedans du monastère quand on retrouve son dehors. La folie du monde, son désordre, sa violence, sa brutalité, sa sauvagerie, son vacarme, sa laideur, sa puanteur, sa saleté, sa crasse, ses poubelles, ses avachissements, son laisser-aller, sa grossièreté, sa vulgarité, sa précipitation: tout cela grouille comme un enfer. Tous les sens sont agressés, l’intelligence aussi et le raisonnement s’en ressent. C’est dans la fuite du monde immonde, pour utiliser le vocabulaire de saint Augustin, que l’on retrouve un monde tout entier caractérisé par une tension vers. Le monastère est le lieu qui va vers.
Vers quoi? Vers Dieu bien sûr. Mais pour qui, comme moi, n’y croit pas, vers quoi va-t-on? Vers la lumière. Tout ce qui est vivant vit avec la lumière. Ce lieu, ai-je écrit, est un lieu vers. Vers la lumière dite ici Dieu. Le monastère fabrique un temps qui n’a rien à voir avec celui du profane. Et c’est dans ce temps que se font ces voyages vers au-dessus, ailleurs et plus que soi.
Ce temps sacré donne une idée de l’éternité. Pour l’essentiel, chaque jour ressemble à celui qui l’a précédé et à celui qui le suivra. Le jour d’ici fut le jour d’avant qui sera le jour d’après: c’est un même jour diversement modifié. Certes, à six heures dix, c’est matines tous les jours sauf le jeudi, tierce est pour le jour ordinaire et non pourt les dimanches et fêtes, mais rien d’essentiel n’est touché dans cet art quotidien de fabriquer ce temps sacré qui donne une idée de l’éternité.
Michel Onfray, Patience dans les ruines / extraits – Saint Augustin Urbi & Orbi (Bouquins, 2023)