Stéphane Lambert
Il faut que je revienne sur ces notions de foi et de vertige, auxquelles j’accorde une place centrale dans l’élaboration de l’oeuvre de Nicolas de Staël et qui sont inséparables de son cheminement d’homme. Ces deux termes peuvent être entendus de diverses façons et, pour clarifier ma pensée, je tiens à préciser l’acception que je leur donne. La foi est la force qui anime; appliquée dans le domaine de l’art, c’est la certitude de devoir créer. Le vertige est la perte de confiance qui fait violemment douter de la légitimité d’être vivant. Le vertige, c’est donc le règne de l’incertitude, c’est la conscience de flotter dans l’inconnu, c’est la rupture avec le confort de la norme (ce qui rassure et régule) et au final c’est l’appel de la mort. Alors que la foi certifie qu’on avance dans la bonne direction, le vertige signale brutalement qu’il n’y a plus aucun appui, aucun devenir, que nous marchons dans le vide.
Ce sont donc apparemment deux forces contradictoires qui devraient mutuellement s’annuler lorsqu’elles sont mises en présence, mais de même que les deux versants d’une voûte qui, exerçant chacun de son côté une pression contraire, devraient faire s’écrouler l’édifice, trouvent un point d’équilibre en ce que l’on nomme la clef de voûte, qui neutralise l’effet dévastateur et stabilise la construction, le vertige et la foi peuvent trouver un point de convergence en un objet commun que nous pourrions appeler création, et ces deux forces, au lieu de s’annuler comme il serait logique qu’elles le fassent dans un autre contexte, vont non seulement s’unir mais, en jouant de concert, additionner la puissance de leurs effets au bénéfice de ladite création.
Stéphane Lambert, Nicolas de Staël – Le vertige et la foi (Arléa, 2014)
image: Nicolas de Staël, Nu couché bleu / 1955 (massimogienda.blogspot.com)