Morceaux choisis – 1132 / Pierbattista Pizzaballa

Pierbattista Pizzaballa

Que le Seigneur vous donne la Paix! Je voudrais exprimer un sentiment profond que nous ressentons tous, je crois, et qui trouve un écho dans l’Evangile proclamé: Marie mit au monde son fils premier-né; elle l’emmaillota et le coucha dans une mangeoire, car il n’y avait pas de place pour eux… (Lc 2, 7). Comme pour Marie et Joseph, il semble que pour nous, aujourd’hui, il n’y ait pas de place pour Noël. Nous sommes tous saisis, depuis trop longtemps, par le sentiment douloureux et triste qu’il n’y a pas de place, cette année, pour la joie et la paix qu’en cette nuit sainte,  les anges ont annoncées aux bergers de Bethléem.

Nous ne pouvons que penser à tous ceux qui, dans cette guerre, ont été laissés sans rien, déplacés, seuls, touchés dans leurs affections les plus chères, paralysés par leur chagrin. Mes pensées vont à tous, sans distinction, Palestiniens et Israéliens, à tous ceux qui sont touchés par cette guerre, à tous ceux qui sont en deuil, qui pleurent et qui attendent un signe de proximité et de chaleur. Je me souviens des otages enlevés à leurs familles; je me souviens de ceux qui croupissent dans les prisons sans procès. Mes pensées vont en particulier à Gaza et à ses deux millions d’habitants. En vérité, il n’y avait pas de place pour eux exprime bien leur situation, désormais connue de tous et dont la souffrance ne cesse d’être criée au monde entier. Ils n’ont plus d’endroit sûr, de maison, de toit; ils sont privés de tout ce qui est essentiel à la vie. Ils meurent de faim et plus encore, ils sont exposés à une violence incompréhensible. Il semble qu’il n’y ait pas de place pour eux, non seulement physiquement, mais aussi dans l’esprit de ceux qui décident du sort des peuples.

C’est la situation dans laquelle vit depuis trop longtemps le peuple palestinien qui, bien que vivant sur sa propre terre, se voit constamment dire: il n’y a pas de place pour vous et qui attend depuis des décennies que la communauté internationale trouve des solutions pour mettre fin à l’occupation, sous laquelle il est contraint de vivre – et à ses conséquences. Il me semble qu’aujourd’hui, tout le monde est enfermé dans son chagrin. La haine, le ressentiment et l’esprit de vengeance occupent tout l’espace du cœur et ne laissent pas de place à la présence de l’autre. Pourtant, l’autre nous est nécessaire. Car Noël, c’est justement cela: c’est Dieu qui se rend humainement présent et qui ouvre nos cœurs à un nouveau regard sur le monde.

Soyons clairs: la venue du Christ dans notre monde a ouvert pour nous et pour tous la voie du salut éternel que rien ni personne ne pourra jamais refermer. La foi, l’espérance et l’amour de l’Eglise de Dieu sont indéfectibles, reposent sur la fidèle promesse du Seigneur et ne dépendent pas des temps et des circonstances changeantes, plus ou moins défavorables qui nous entourent. Il est tout aussi évident, cependant, que nous luttons pour trouver une place pour Noël dans notre pays, dans nos vies, dans nos cœurs. Ce chemin, ouvert par le Christ, nous risquons de le perdre dans les rues détruites, dans les décombres de la guerre, dans les maisons abandonnées. Nos cœurs accablés risquent de ne pas se mettre à l’écoute de l’annonce de Noël. Trop de douleurs, trop de déceptions, trop de promesses non tenues encombrent cet espace intérieur où l’Evangile de Noël pourrait résonner et inspirer des actions et des comportements de vie et de paix.

Demandons-nous donc: où est Noël cette année? Où devrions-nous chercher le Sauveur? Où l’Enfant peut-il naître, alors qu’il ne semble pas y avoir de place pour Lui dans ce monde qui est le nôtre? Le lieu de Noël, c’est d’abord et avant tout Dieu. Le Noël du Christ se déroule au départ dans le cœur miséricordieux du Père. Son amour infini et inépuisable engendre éternellement le Fils et nous le donne dans le temps. Même en ce temps. C’est dans Sa bonne et sainte volonté que le salut de l’homme a été décidé. Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais ait la vie éternelle. Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui (Jn 3, 16-17). Dans les circonstances actuelles, nous, toute l’Eglise, devons revenir à Dieu, à Son amour, si nous voulons redécouvrir la vraie joie de Noël, si nous voulons rencontrer le Sauveur.

Avant et au-delà de toutes les explications sociales et politiques, la violence et l’écrasement de l’autre trouvent leur racine ultime dans le fait d’avoir oublié Dieu, d’avoir contrefait Son visage, d’avoir utilisé la relation religieuse avec Lui de manière instrumentale et fausse, comme cela se produit trop souvent dans cette Terre Sainte qui est la nôtre.

Que notre volonté de faire le bien, concrétisée par notre oui responsable et généreux, par notre engagement à aimer et à servir, soit l’espace dans lequel le Christ puisse naître et renaître! Je le demande pour moi-même, pour mon Eglise en Terre Sainte et pour toutes les Eglises du monde: qu’elles soient pour tous une maison et un espace de réconciliation et de pardon pour tous ceux qui recherchent la joie, la paix! Que le Christ renaisse donc sur cette terre, la Sienne et la nôtre, et que le chemin de l’Evangile de la paix pour le monde entier reprenne à partir d’ici! Qu’Il renaisse dans le cœur de ceux qui croient en Lui, les poussant au témoignage, à la mission, sans la peur de la nuit et de la mort! Qu’il renaisse aussi dans le cœur de ceux qui ne croient pas encore, comme un désir de paix et de bonté, de vérité et de justice!

Que le Christ renaisse dans le cœur de tous, afin que pour tous, ce soit encore Noël! Joyeux Noël! Amen.

Pierbattista Pizzaballa, Patriarche de Jérusalem: Homélie de la Messe de Minuit / extraits – 24 décembre 2023 (lpj.org)

image: Patriarcat Latin de Jérusalem / Israël (lpj.org)

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